Reportage de Pierrôt: 24-26/01/13

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A Nantes, la neige avait fait une courte apparition, le temps d'imprégner du désir d'en voir plus. La route de la neige serait celle de Nantes à Saint Sauves d'Auvergne, avec compagnons co-voitureurs pour amortir le bilan carbone catastrophique de ce reportage. En effet, après Limoges, si l'on suit la boussole vers les monts d'Auvergne, c'est le plateau de Millevaches qui est le premier habillé de moquette blanche.

Ce 24 janvier 2013, 19 ans exactement après la naissance d'un certain Pamphile Rémi Faddalou, le Toyot entre en terre de Puy de Dôme. Pamphile, c'était pour la musique du mot, le sens de ce mot en grec et aussi pour "la femme d'Hector" de Brassens. Et Rémi : une valeur refuge si le premier prénom, un peu rare,  était trop dur à porter. C'était un clin d'oeil au petit garçon qui suivait Vitalis, l'accordéoniste qui menait sa troupe le long des routes, dans "Sans Famille".

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 Et "Faddalou"? Bien malin qui devinerait que c'est une écriture à la française d'une formule très courante au moyen orient qui signifie "vous êtes les bienvenus". Et justement Faddalou était dans le ventre de sa maman quand ses parents rendaient visite à son oncle à Sweida, en Syrie. C'était un endroit où l'on nous demandait : "mais pourquoi avez vous besoin de cafés pour vous rencontrer en France? Chez nous, on se rencontre les uns chez les autres. Faddalou"… Peut-être Pamphile devait-il rester marqué par cette manière toute syrienne d'envisager les rapports humains, faits de chaleur, d'ouverture et de culture, tout au contraire des effets destructeurs de la dictature sur ce pays et son peuple.

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Pamphile ne savait pas que son père venait le voir ce week-end dans son ermitage musical. Surprise entretenue jusqu'au dernier moment, grâce à la discrétion des responsables du CNIMA qui avaient gardé le secret, se contentant de dire qu'il y avait un minibus avec des places libres dont le conducteur tenait à garder l'anonymat! Belle surprise, beau moment dans ce restau du casino de la Bourboule, parfaitement fantomatique en cette saison, où nous étions tous les deux seuls à discuter en nous régalant de truffades.

En arrivant devant le CNIMA, sur la petite route qui monte dans les hauts de Saint Sauves, on a comme une impression de fourmilière : des musiciens sortent et rentrent par toutes les issues, souvent l'accordéon à l'épaule. Le CNIMA bruisse de toutes les pièces qui se préparaient pour le concours. Depuis plusieurs semaines, les élèves se concentrent sur les morceaux qu'il joueront devant le jury. Ils ont reçu les conseils de leurs professeurs, ils se sont auditionné entre eux, ils ont joué devant le bâtiment, profitant de cette superbe vue vers les monts d'Auvergne. Ce vendredi midi, c'est la fin de la semaine de cours, les non pensionnaires et les professeurs disent au revoir, à lundi. Ceux qui vont au concours de l'Accordéon Club se regroupent. Brigitte la cuisinière du CNIMA, a préparé un dernier repas avant le départ, et aussi des sandwiches pour la route. La secrétaire que toute personne qui appelle le CNIMA connaît bien, Anne-Marie Roux, a vérifié que les réservations d'hôtel était faites, rappelé aux candidats de ne rien oublier, de l'accordéon à la carte d'adhésion en passant par les partitions originales. On est gentiment prié de faire un petit effort sur la vestimentation pendant l'audition. Et bien sûr Natahlie Boucheix, la directrice, et Jacques Mornet le fondateur, sont là. Ils savent que les concours sont des échéances très motivantes pour les élèves. C'est presque leur principale raison d'être. Ils vont aller écouter leurs élèves donner le meilleur d'eux-même, pour adapter ensuite ce qu'ils leur proposeront de travailler et comment le travailler. De toute évidence Nathalie est très proche des élèves : elle même est une ancienne, ancienne si l'on peut dire car elle est jeune, fringante et enthousiaste. Monsieur Mornet est le seul à se faire nommer ainsi par les élèves sans son prénom. Marque de respect. Ils savent que son CNIMA est devenu un centre de formation d'excellence reconnu au delà des frontières. 

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De St Sauves à Fontaine, il y a près de quatre cent kilomètres de covoiturage pour faire connaissance avec quelques uns des musiciens qui ont choisi le minibus. Ma Schueng, Paul, Audrey, Denis, Alex, Wilfrid, Christelle, Jean-Baptiste dit "JB" … Quelques un(e) des musiciens, une extraordinaire variété des provenances, des projets, des âges… Un seul point commun, cette grosse bête à boutons ou à touches, dont on prend soin comme d'un enfant fragile, qu'on porte sur son ventre et non dedans. Mais la musique qu'il fait, on entend bien à l'écouter qu'elle vient du dedans.
A Fontaine, cette petite ville de la banlieue Grenobloise, la troupe se répartit dans les chambres de l'hôtel, sandwich à la main. Le sandwich qui sera complété par un repas au restaurant attenant pour les plus à l'aise, par un macdo pour les affamés ou dans un petit bouiboui couscous de l'autre côté de l'Isère, en suivant la ligne de tram vers Grenoble pour Pamphile et moi. 
Les gens rient mais on sent bien que la tension monte un peu. C'est demain le concours pour lequel on a travaillé pendant deux mois… On ne va pas se coucher tard.

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Ce samedi, le ciel est magnifiquement bleu, sa lumière est vivement renvoyée sur la ville par les faces enneigées, qui dessinent une crête dentelée qui nous encercle du côté est. L'urbanisme des hommes fait pâle figure dans ce cirque de lumière, mais il est là, avec ses bâtiments chauffés, ses tramways, ses boulangeries aux vitres embuées qui cachent les croissants du matin.

Et c'est la salle polyvalente dédiée au concours, à quelques minutes à pied de l'Hôtel.  Banderole devant, et dans le hall, affiches et photos de la vie du club d'accordéon, présentoir avec méthodes et partitions d'accordéon, accordéon "Midi" en démonstration. A gauche, une salle casse croûte- café. A droite, l'entrée de la salle d'audition. Une feuille collée : "merci de ne pas entrer quand la porte est fermée". La salle, immense, ses gradins où se parsèment le public, principalement des familles et amis des musiciens. 

Le programme a commencé et progresse au fil de la journée, par âge et qualification croissante. Une chaise, un pupitre, qui fait face à un jury à droite de la scène. A gauche de la scène, une table porte toutes les coupes qui seront - ou ne seront pas - données en fin de journée. On demande au micro à une catégorie de se ternir prête, on appelle un musicien, on annonce son programme, on s'assure que chacun a une partition. Pour les débutants, un morceau imposé, pour les musiciens avérés, un morceau imposé suivi d'un morceau libre, et pour la crème, ceux qui feront des concours internationaux, un programme totalement libre. Le président du jury agite une clochette et les doigts du musicien se mettent à gambader sur les touches, la musique vole dans le silence attentif, un tantinet inquiet du moindre faux pas, de la salle.  Des petits bout d'choux qu'on voit à peine derrière leur boîte à soufflet et qui me rappellent les premiers concours de Pamphile avec Didier Letort, qui a été son premier professeur. Le plus souvent lorsque les difficultés du morceau sont passées, au début du coda, le président secoue la clochette, signe d'interruption. Des jeunes ensuite, qui maîtrisent leur instrument mais qui parfois butent encore sur une difficulté technique. Et progressivement, des musiciens qui font de la vraie musique, riche d'émotion malgré les conditions, malgré l'acoustique. Pas d'applaudissement, en principe entre les candidats. Mais certains, en fin de journée donnaient tellement que le public ne pouvait se retenir de taper dans les mains.

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 Pamphile est parti s'échauffer quand il ne restait que quatre musiciens avant lui. Il a été appelé vers 11h30. Il a monté le petit escalier côté cour, traversé la scène, donné ses partitions. Puis il s'est assis, s'est penché sur son instrument collant presque, comme quand il était enfant, ses oreilles au soufflet. Sur le pupitre, point de partition. Tout est dans la tête, les doigts, le coeur. Et, après la clochette, il a joué. D'abord Skate magic, puis Mosaïque d'argentine, deux compositions de Celino Bratti. Et la musique s'est tue. Comme pour les autres, mais l'instant me paraissait plus long. Fierté? Emotion? Soulagement? Plaisir? Sérénité? Un mélange subtil qui grave cet instant un peu plus que les autres dans la mémoire de l'apprenti reporter… Tandis que Pamphile envoie un SMS prudent à ses proches : " ça y est, je suis passé! Sur le moment j'ai trouvé ça plutôt moyen, avec l'acoustique de la salle, pour tout ce qui est expression, c'est pas évident de se rendre compte", à chaud, Nathalie Boucheix, parmi les spectateurs, se tourne vers moi :  " Il a très bien joué. Il est rentré dans le jeu. Après des petits réajustements au début, maintenant il profite vraiment...". Jacques Mornet  ajoute, souriant de voir ses élèves faire des belles interprétations, : "Pamphile, c'est un artiste, il peut jouer dans les concours internationaux. On va lui concocter un programme"… Et Pamphile de poursuivre son SMS : "... mais les échos de mes profs sont super encourageants"…
En effet.

Puis, c'est la remise solennelle des récompenses juste avant l'heure du déjeuner. On annonce le nom du musicien, qui monte sur scène, et, selon le cas le diplôme, la médaille, la coupe, les félicitations, les félicitations du jury. Bises, serrement de main chaleureux. 

De belles satisfaction, des fiertés dites par les proches, des encouragements et des remarques par Nathalie Boucheix et Jacques Mornet, attentifs toute la journée à ce qui se joue. Parfois ce sont des déceptions, des ratés après tant de travail, dans le trac inévitable de la scène.

Après la pause de midi, c'est au tour des pr
ogrammes libres. Avec Pamphile, nous écoutons passionnément ces interprétations qui vont du répertoire classique au répertoire contemporain, en solo ou en duo, ou en formations en orchestre. Et c'est la remise des récompenses, encore. Et les photo de groupe, accordéon sur les épaules et si possible en costume de scène. 

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On salue des gens connus, ou des gens qu'on a rencontrés. On se parle des prochains concours, on s'y verra peut-être. On se dit au revoir. 

La nuit couvre le Toyot, qui file dans la nuit le long de l'Isère vers Lyon, puis Saint Etienne, puis Clermont, et Saint Sauves enfin. Dans le silence de la retombée de tension. je suis content d'être le silencieux chauffeur de tous ces talents et je pense qu'ils doivent, comme moi, avoir l'estomac dans les talents. Pardon. Les talons. L'étalon? tiens, je viens d'en voir un les pattes dans la neige.